mercredi 24 février 2010

Poésie de Mario Luzi


" Ne le perds pas, le fil de la vie" -
semble me dire une pensive Lachésis
en ce visage de Gitane -
"suis-le toujours, même quand il se cache
dans les plus noires galeries

ou plus sombre

s'enchevêtre
en de mortels dédales - ou encore,
engourdi, s'atrophie
en faux triomphes
privés ou publics.

Ne le perds pas,

je te prie, ne va pas le lâcher
pour aucune sorcellerie
de faux paradis,

pour aucune

illusion de refuge
dans des forts ou des ermitages
ou dans aucune brèche qui ouvrirait,
un jour, sur l'éternité.
Il ne te lâchera pas, lui tu le sais,
si tu lui es fidèle,
au premier blanchoiement de l'aube
il vibre dans tes mains,
à chaque nouveau jour,
à chaque recommencement" - c'est ce qu'elle
dit, c'est cela qu'elle m'intime
ou que lui dicte mon désir...


Poesie extraite du livre : D'une lyre à cinq cordes
Traductions de Philippe Jaccottet

Peinture : Thumann, Friedrich Paul (Allemagne, 1834-1908)

samedi 20 février 2010

Rainer Maria Rilke


"Nous sommes les abeilles de l'Univers. Nous butinons éperdument le miel du visible pour l'accumuler dans la grande ruche d'or de l'invisible."

Extrait d'une Lettre
Peinture de Louise Abbema

mercredi 17 février 2010

Pétrarque : Sonnet CLXXXVIII


Soleil, mon seul amour est cette feuille verte
Qu'avant moi tu aimas - ores seul ornement
De notre beau séjour depuis qu'Adam
A sa gracieuse faute, et nôtre, découverte.

Tous deux la regardons : mais je t'implore,
Soleil, et tu t'enfuis, et tu fais alentour
S'assombrir les hauteurs, tu emportes le jour
Et, fuyant, tu me prends ce que j'adore.

L'ombre qui tombe de l'humble colline
Où semble étincelle mon tendre feu
Et où ce grand laurier fut tige fine,

En s'accroissant quant je parle, obscurcit
La douce vue du site bienheureux
Où mon coeur et sa dame ont leur logis.


Peinture de Vincent Van Gogh

samedi 13 février 2010

Poésie de Philippe jaccottet

Déchire ces ombres enfin comme chiffons,
vêtu de loques, faux mendiant, coureur de linceuls :
singer la mort à disatance est vergogne,
avoir peur quand il y aura lieu suffit. A présent,
habille-toi d'une fourrure de soleil et sors
comme un chasseur contre le vent, franchis
comme une eau fraîche et rapide ta vie.

Si tu avais moins peur,
tu ferais plus d'ombre sur tes pas.


Extrait du livre : À la lumière d'hiver

jeudi 11 février 2010

Âges : Conte soufis de Djalâl Al-Dîn Rûmi

Un bélier, un chameau et une vache trouvèrent sur leur chemin une botte de paille. Le bélier dit:
"Si nous divisions cette botte en trois parts, aucun de nous ne serait satisfait. Il est préférable que le plus âgé de nous trois en profite à lui tout seul. Car c'est notre devoir de respecter les vieillards."
Le bélier proposa que chacun dise son âge et il commença par lui :
" Moi, j'étais dans la même prairie que le bélier qui fut sacrifié par Abraham."
La vache dit alors :
"Moi, j'étais aux côtés d'Adam alors qu'il labourait. Car j'étais la femelle de son taureau."
A ces mots, le chameau se saisit de la botte de paille et se mit à la manger :
"Cela ne sert à rien de vous dire mon âge. Car, ainsi que tout le monde le sait, ma taille est la preuve de mon ancienneté. C'est ainsi que les cieux sont plus anciens que la terre."


Extrait du livre : Le Mesnevi, 150 contes soufis, Djalâl Al-Dîn Rûmi

samedi 6 février 2010

Citation


"Ce qu'ils aiment ou haïssent,
ce n'est pas l'essence des choses ou des personnes,
mais seulement leur apparence."


Extrait : Histoires d'humour et de sagesse
Anthony de Mello

lundi 1 février 2010

Charles Baudelaire : Le Couvercle

En quelque lieu qu'il aille ou sur mer ou sur terre,
Sous un climat de flamme ou sous un soleil blanc,
Serviteur de Jésus, courtisan de Cythère,
Mendiant ténébreux ou Crésus rutilant,

Citadin, campagnard, vagabond, sédentaire,
Que son petit cerveau soit actif ou soit lent,
Partout l'homme subit la terreur du mystère,
Et ne regarde en haut qu'avec un oeil tremblant.

En haut, le Ciel! ce mur de caveau qui l'étouffe,
Plafond illuminé pour un opéra bouffe,
Où chaque histrion foule un sol ensanglanté ;

Terreur du libertin, espoir du fol ermite ;
Le Ciel! couvercle noir de la grande marmite
Où bout l'imperceptible et vaste Humanité.