samedi 30 janvier 2010

La Fontaine : La Mort et le Mourant


La Mort ne surprend point le sage;
Il est toujours prêt à partir,
S'étant su lui-même avertir
Du temps où l'on se doit résoudre à ce passage.
Ce temps, hélas! embrasse tous les temps:
Qu'on le partage en jours, en heures, en moments,
Il n'en est point qu'il ne comprenne
Dans le fatal tribut ; tous sont de son domaine;
Et le premier instant où les enfants des rois
Ouvrent les yeux à la lumière
Est celui qui vient quelquefois
Fermer pour toujours leur paupière.
Défendez-vous par la grandeur,
Alléguez la beauté, la vertu, la jeunesse:
La Mort ravit tout sans pudeur;
Un jour le monde entier accroîtra sa richesse.
Il n'est rien de moins ignoré,
Et puisqu'il faut que je le die,
Rien où l'on soit moins préparé.

Un Mourant, qui comptoit plus de cent ans de vie,
Se plaignois à la Mort que précipitamment
Elle le contraignoit de partir tout à l'heure,
Sans qu'il êut fait son testament,
Sans l'avertir au moins. " Est-il juste qu'on meure
Au pied levé? dit-il; attendez quelque peu;
Ma femme ne veut pas que je parte sans elle;
Il me reste à pourvoir un arrière-neveu;
Souffrez qu'à mon logis j'ajoute encore une aile.
Que vous êtes pressante, ô Déesse cruelle!
- Vieillard, lui dit la Mort, je ne t'ai point surpris;
Tu te plains sans raison de mon impatience:
Eh! n'as-tu pas cent ans? Trouve-moi dans Paris
Deux mortels aussi vieux; trouve-m'en dix en France.
Je devois, ce dis-tu, te donner quelque avis
Qui te disposât à la chose:
J'aurois trouvé ton testament tout fait,
Ton petit-fils pourvu, ton bâtiment parfait.
e te donna-t-on pas des avis, quand la cause
Du marcher et du mouvement,
Quand les esprits, le sentiment,
Quand tout faillit en toi? Plus de goût, plus d'ouïs;
Toute chose pour toi semble être évanouis:
Pour toi l'astre du jour prend des soins superflus;
Tu regrettes des biens qui ne te touchent plus.
Je t'ai fait voir tes camarades
Ou morts, ou mourrant, ou malades:
Qu'est-ce que tout cela, qu'un avertissement?
Allons, vieillard, et sans réplique.
Il n'importe à la République
Que tu fasses ton testament."

La mort avoit raison. Je voudrois qu'à cet âge
On sortît de la vie ainsi que d'un banquet,
remerciant son hôte, et qu'on fît son paquet;
Car de combien peut-on retarder le voyage?
Tu murmures, vieillard! Vois ces jeunes mourir,
Vois-les marcher, vois-les courir
A des morts, il est vrai, glorieuses et belles,
Mais sûres cependant, et quelquefois cruelles.
J'ai beau te le crier; mon zèle est indiscret:
Le plus semblable aux morts meurt le plus à regret.


Peinture de Hans Baldung

vendredi 29 janvier 2010

Philippe Jaccottet : À Henry Purcell


Songe à ce que serait pour ton ouïs,
toi qui es à l'écoute de la nuit,
une très lente neige
de cristal.


Extrait du livre: À la lumière d'hiver

lundi 25 janvier 2010

Al ‘Arabi ad-Darqawi


Un autre frère me demanda : " Comment guérir l'âme (an-nafs) ? ; je lui répondis : "oublie-la et n'y pense guère; car ne se souvient pas de Dieu qui n'oublie pas son âme (ou qui ne s'oublie pas lui-même). Vous ne pouvez pas concevoir que ce n'est pas l'existence du monde qui nous fait oublier notre Seigneur : ce qui nous fait L'oublier c'est l'existence de nous-mêmes, de notre égo. Rien d'autre ne nous Le voile que le fait de nous occuper, non de l'existence comme telle, mais de nos désirs. Si nous pouvions oublier notre propre existence, nous trouverions Celui qui est l'origine de toute existence, et nous verrions en même temps que nous n'existons pas du tout. Comme pouvez vous concevoir que l'homme puisse perdre la conscience du monde sans perdre celle de son ego ? Cela ne se produira jamais.

Peinture Uemura Atsushi

jeudi 21 janvier 2010

Citation de Djalal-ud-Din-Rumi


"Si tu bois, assoiffé, de l'eau dans une coupe, c'est Dieu que tu contemples au sein de l'eau.
Celui qui n'est pas amoureux voit dans l'eau sa propre image."

lundi 18 janvier 2010

Au lecteur : Charles Baudelaire

La sottise, l'erreur, le péché, la lésine
Occupent nos esprit et travaillent nos corps,
Et nous alimentons nos aimables remords
Comme les mendiants nourrissent leur vermine.

Nos péchés sont têtus, nos repentirs sont lâches;
Nous nous faisons payer grassement nos aveux
Et nous rentrons gaîment dans le chemin bourbeux,
Croyant par de vils pleurs laver toutes nos taches.

Sur l'oreiller du mal c'est Satan Trismégiste
Qui berce longuement notre esprit enchanté,
Et le riche métal de notre volonté
Est tout vaporisé par ce savant chimiste.

C'est le Diable qui tient les fils qui nous remuent!
Aux objets répugnants nous trouvons des appas;
Chaque jour vers l'Enfer nous descendant d'un pas,
Sans horreur, à travers des ténèbres qui puent.

Ainsi qu'un débauché pauvre qui baise et mange
Le sein martyrisé d'une antique catin,
Nous volons au passage un plaisir clandestin
Que nous pressons bien fort comme une vieille orange.

Serré, fourmillant, comme un million d'helminthes,
Dans nos cerveaux ribote un peuple de Démons,
Et, quand nous respirons, la Mort dans nos poumons
Descend, fleuve invisible, avec de sourdes plaintes.

Si le viol, le poison, le poignard, l'incendie
N'ont pas encor brodé de leurs plaisants dessins
Le canevas banal de nos piteux destins,
C'est que notre âme, hélas! n'est pas assez hardie.

Mais parmi les chacals, les panthères, les lices,
Les singes,les scorpions, les vautours, les serpents,
Les monstres glapissants, hurlants, grognants, rampants
Dans la ménagerie infâme de nos vices,

Il en est un plus laid, plus méchant, plus immonde!
Quoiqu'il ne pousse ni grands gestes ni grands cris,
Il ferait volontiers de la terre un débris
Et dans un bâillement avalerait le monde.

C'est l'ENNUI! - L'oeil chargé d'un pleur
involontaire,

Il rêve d'échafauds en fumant son houka.
Tu le connais, lecteur, ce monstre délicat,
- Hypocrite lecteur,- mon semblable,- mon frère!


Les Fleurs du Mal

Citation de David Hume


"La beauté des choses existe dans l'esprit de celui qui les contemple."

Extrait des Essais
Peinture de Georges Clairin

samedi 16 janvier 2010

Pierre Seghers : Poète

Au monstre des secrets je plie sans jamais rompre
Jusqu'à l'existance et la voix,
Je me lie à mon temps qui roule entre mes doigts
Comme un bracelet d'or ou d'ambre.

Je sens autour de moi la vie morte, passée
Mon sang la polit chaque jour
Tel un bijoux dans sa coquille de détours
Aussi fluide que la pensée.

Ce qui fut m'est léger. J'invente, j'imagine
Je tresse la nuit, le soleil
Je réponds en offrant les champs et les abeilles
L'espoir, le jour que je devine.

Sur mes chariots la vie balance ses navires
De foin, de mers et de parfums
Et je feint d'oublier le début et la fin
Il n'est de réel que de dire.


Le Domaine public

jeudi 14 janvier 2010

Jules Supervielle: Les chevaux du temps


Quand les chevaux du Temps s'arrêtent à ma porte
J'hésite un peu toujours à les regarder boire
Puisque c'est de mon sang qu'ils étanchent leur soif.
Ils tournent vers ma face un oeil reconnaissant
Pendant que leurs longt traits m'emplissent de faiblesse
Et me laissent si las, si seul et décevant
Qu'une nuit passagère envahit mes paupières
Et qu'il me faut soudain refaire en moi des forces
Pour qu'un jour où viendrait l'attelage assoiffé
Je puisse encore vivre et les désaltérer.


Les Amis inconnus

Peinture Gina Litherland

samedi 9 janvier 2010

Charles Baudelaire: Moesta et Errabunda


Dis-moi, ton coeur parfois s'envole-t-il, Agathe,
Loin du noir océan de l'immonde cité,
Vers un autre océan où la splendeur éclate,
Bleu, clair, profond, ainsi que la virginité?
Dis-moi, ton coeur parfois s'envole-t-il, Agathe?

La mer, la vaste mer, console nos labeurs!
Quel démon a doté la mer, rauque chanteuse
Qu'accompagne l'immense orgue des vents grondeurs,
De cette fonction sublime de berceuse?
La mer, la vaste mer, console nos labeurs!

Emporte-moi, wagon! enlève-moi, frégate!
Loin! loin! ici la boue est faite de nos pleurs!
-Est-il vrai que parfois le triste coeur d'Agathe
Dise : Loin des remords, des crimes, des douleurs,
Emporte-moi, wagon, enlève-moi, frégate?

Comme vous êtes loin, paradis parfumé,
Où sous un clair azur tout n'est qu'amour et joie,
Où tout ce que l'on aime est digne d'être aimé,
Où dans la volupté pure le coeur se noie!
Comme vous êtes loin, paradis parfumé!

Mais le vert paradis des amours enfantines,
Les courses, les chansons, les baisers, les bouquets,
Les violons vibrant derrière les collines,
Avec les brocs de vin, le soir, dans les bosquets,
-Mais le vert paradis des amours enfantines,

L'innocent paradis, plein de plaisirs furtifs,
Est-il déjà plus loin que l'Inde et que la chine?
Peut-on le rappeler avec des cris plaintifs,
Et l'animer encor d'une voix argentine,
L'innocent paradis plein de plaisirs furtifs?

Les fleurs du mal, Spleen et idéal, LXII

Peinture de Dante Gabriel Rossetti

vendredi 8 janvier 2010

Stéphane Mallarmé : Plusieurs sonnets


II
Le vierge, le vivace et le bel aujourd'hui
Va-t-il-nous déchirer avec un coup d'aile ivre
Ce lac dur oublié que hante sous le givre
Le transparent glacier des vols qui n'ont pas fui!

Un cygne d'autrefois se souvient que c'est lui
Magnifique mais qui sans espoir se délivre
Pour n'avoir pas chanté la région où vivre
Quand du stérile hiver a resplandi l'ennui.

Tout son col secouera cette blanche agonie
Par l'espace infligé à l'oiseau qui le nie,
Mais non l'horreur du sol où le plumage est pris.

Fantôme qu'à ce lieu son pur éclat assigne,
Il s'immobilise au songe froid de mépris
Que vêt parmi l'exil inutile le Cygne.


Peinture Edouard Manet, portrait de Stéphane Mallarmé

jeudi 7 janvier 2010

Citation de René Char


"Au plus fort de l'orage, il y a toujours un oiseau pour nous rassurer. C'est l'oiseau inconnu, il chante avant de s'envoler."

Extrait de Rougeurs des matinaux

lundi 4 janvier 2010

Citation de René Char


"Nous commençons toujours notre vie sur un crépuscule admirable."

Peinture de Joseph Mallord William Turner

dimanche 3 janvier 2010

Charles Baudelaire : Le Flacon


Il est de forts parfums pour qui toute matière
Est poreuse. On dirait qu'ils pénètrent le verre.
En ouvrant un coffret venu d'Orient
Dont la serrure grince et rechigne en criant,

Ou dans une maison déserte quelque armoire
pleine de l'âcre odeur des temps, poudreuse et noire,
Parfois on trouve un vieux flacon qui se souvient,
D'où jaillit toute vive une âme qui revient.

Mille pensers dormaient, chrysalides funèbres
Frémissant doucement dans les lourdes ténèbres,
Qui dégagent leur aile et prennent leur essor,
Teintés d'azur, glacés de rose, lamés d'or.

Voilà le souvenir enivrant qui voltige
Dans l'air troublé; les yeux se ferment; le vertige
Saisit l'âme vaincue et la pousse à deux mains
Vers un gouffre obscurci de miasmes humains;

Il la terrasse au bord d'un gouffre séculaire,
Où Lazare odorant déchirant son suaire,
Se meut dans son réveil le cadavre spectral
D'un vieil amour ranci, charmant et sépulcral.

Ainsi, quand je serai perdu dans la mémoire
Des hommes, dans le coin d'une sinistre armoire,
Quand on m'aura jeté, vieux flacon désolé,
Décrépit, poudreux, sale, abject, visqueux, fêlé,

Je serais ton cercueil, aimable pestilence!
Le témoin de ta force et de ta virulence,
Cher poison préparé par les anges! liqueur
Qui me ronge, ô la vie et la mort de mon coeur!


Peinture de Gabriel Erguine

vendredi 1 janvier 2010

Proverbe Turc


"Pense d'abord à ce qu'il te faut faire, puis mets-toi à la besogne."